dépression et paradis
J’ai ressenti que je suis prête à raconter “publiquement” un épisode douloureux de ma vie, en espérant que ça puisse aider d’autres personnes qui vivent la même chose. La dernière fois que j’en ai parlé à un ami, il m’a fait la réflexion “Toi, Cynthia ? Tu es la dernière personne à qui ça pourrait arriver.” Je le croyais aussi ! Mais probablement j’avais des choses à apprendre.
Je livre mon expérience telle que je l’ai vécue, alors attention aux âmes sensibles. Et oui : je vais bien maintenant, ne vous inquiétez pas. Qu’est-ce que je suis contente de pouvoir en parler librement maintenant, avec un esprit positif, sans plus avoir les larmes qui me viennent aux yeux en y repensant !
Contexte
A la fin de la première année de Covid, j’ai rejoint les bancs de ceux qui ont été affectés non pas physiquement, mais mentalement par la pandémie. Autrement dit, j’ai eu un épisode de dépression. Avec mon camping-car, j’étais arrivée en Utah où, avec le confinement de la pandémie, c’était très difficile de faire des nouvelles rencontres. En plus de cela, je ne pouvais pas aller voir ma famille en France pour Noël (au risque de perdre mon travail et mon visa américain), je ne m’épanouissais plus dans mon travail (je m’étais donnée à fond pour zéro reconnaissance), le tout étant couronné par une histoire d’amour tortueuse, avortée et douloureuse : bref, mon cerveau a débloqué.
Moi qui adorais manger, j’ai perdu l’appétit. J’avais des envies de fuite permanentes (mais pour aller où ?). Quand je me baladais dans la rue pour prendre l’air, je me mettais souvent à pleurer sans savoir pourquoi. Quand je conduisais sur l’autoroute, j’avais des envies subites de faire un accident. La nuit venue, quand je passais devant des maisons, je ressentais une pulsion intérieure qui voulait que j’y rentre et que je fasse du mal à ses habitants.
Mon mal-être s’était transformé en de multiples monstres intérieurs qui me faisaient peur de moi-même.
Peut-être dans un espoir de chasser mes propres démons, j’ai fait une reprise de la chanson « Monsters » sur ma chaîne YouTube . Elle décrivait très bien ce que j’aurais voulu qu’on me dise, et m’avait touché en plein cœur lorsque je l’avais entendue la première fois. J’ai tellement bien extériorisé mes sentiments que je sais que certaines personnes ont même été dérangées par la vidéo, la trouvant trop “sombre”. J’ai une amie qui n’a pas réussi à aller jusqu’au bout, car elle se sentait trop mal à l’aise en la regardant.
C’est vrai, j’essayais d’extérioriser tout ce que j’avais en moi, réveillant peut-être ainsi les monstres d’autres personnes.
Mais l’extériorisation ne m’a pas suffi pour que j’aille mieux.
Un matin, je me suis réveillée et j’ai passé la journée dans le canapé où je dormais. Sans me lever, sans aller aux toilettes, sans manger, sans boire, sans me connecter pour mon boulot. Le soir même, j’ai appelé mon manager et je lui ai dit que je ne viendrais pas cette semaine, ni celle d’après. Il a très bien réagi et m’a dit d’aller voir un docteur au moins.
Je suis donc allée voir une doctoresse très compréhensive qui m’a diagnostiqué une dépression à l’aide d’un questionnaire, puis m’a donné congé de mon travail pendant quelques semaines pour que je me concentre sur moi. J’avais carte blanche pour prendre soin de moi.
J’ai commencé par un jeûne de trois jours (merci Camille pour ton inspiration) qui a remis à zéro mes hormones, je marchais beaucoup, je prenais le soleil, je faisais des activités qui me faisaient plaisir à moi, comme cuisiner, dessiner, faire de la guitare.
La menace intérieure
Malheureusement, l’histoire d’amour tortueuse est revenue à la charge deux semaines plus tard, et c’est comme si tous mes efforts avaient été réduits à néant.
En apparence, tout était bien. La personne dont je cherchais l’attention m’avait invitée dans sa famille pour Noël, et sûrement m’attendais-je à ce qu’il change d’avis sur notre relation. Mais ce n’était pas le cas et bien que toute sa famille ait été formidable pendant ces fêtes, lui ne faisait que de m’ignorer toute la journée, dans sa propre maison. (Il était bizarre, je sais, promis, la prochaine fois je prends un homme plus stable socialement et mentalement xD mais revenons à notre histoire).
En plus, il m’hébergeait dans son salon, comme mon camping-car était trop froid pour que j’y dorme et mes rares amis sur place étaient quasiment tous partis ailleurs pour les fêtes – ou étaient malades.
Le jour de Noël, en rentrant dans son salon et en me couchant sur le tapis pour dormir, j’ai vraiment cru que j’allais faire une bêtise.
Je me souviens que j’essayais de dormir et que tout ce qui me venait à l’esprit, c’était d’aller chercher un couteau dans la cuisine et de me sectionner les bras. C’est comme si un grand complot s’était organisé dans ma tête pour me faire physiquement du mal et attirer l’attention de la personne qui me rejetait. Pourtant, je savais, j’avais la connaissance, que c’était une très mauvaise idée, que ça ne pourrait créer que des liens malsains. Des choses irréversibles. Je savais aussi que je ne pouvais pas attribuer tout mon mal-être sur le compte d’une personne externe. C’était à moi de me guérir, et de ne plus être dépendante affectivement d’une personne qui me rejetait. (oui, déjà à l’époque j’étais consciente de tout ça !)
En bref, je n’avais aucun désir conscient de me faire du mal, mais c’est comme si ces monstres intérieurs étaient de retour et m’y poussaient alors que je ne le voulais pas.
Il y avait vraiment une dichotomie dans mon cerveau et j’ai dû lutter extrêmement fort pour ne pas céder au mauvais bord.
C’est pour ça que je dis, ne jugez pas les personnes qui se font du mal – ce n’est PAS conscient, et NON, elles ne sont PAS lâches. Généralement, elles ne savent même pas que cette dichotomie dans leur cerveau existe, et qu’elles ont du pouvoir dessus. C’est presque un réflexe de survie, animal, brusque, qui leur vient, conditionné par de nombreuses choses qui se sont passées avant.
Je pense que ce qui m’a aidé à repérer cette dichotomie intérieure, c’est ma tendance à tout penser et repenser avant d’agir en général. Je cherchais des solutions à mon problème mental, tout en luttant contre ce problème. C’est comme être le général et le soldat en même temps sur le champ de bataille.
J’ai commencé par appeler mes parents, qui étaient complètement démunis (les pauvres). Puis quand l’appel était fini, j’essayais de me rappeler que je ne voulais pas qu’ils soient tristes, eux. J’essayais d’imaginer leur tristesse si je faisais une bêtise spontanée et je me disais que ça serait vraiment stupide, et que ça valait vraiment le coup de se battre.
Ce soir-là donc, c’était le combat de la théorie (mes connaissances) contre la pratique (le cerveau qui fait des siennes). Et finalement, c’est la poésie qui m’a sauvée – c’est une longue histoire que j’écrirai sûrement plus tard dans un livre. Mais pour résumer, j’ai pris ma couverture, mon coussin, et je me suis glissée dans la chambre de celui qui m’hébergeait (et dont je cherchais l’attention et l’amour), discrètement. Puis je me suis endormie juste en bas de son lit, paisiblement cette fois, les monstres étant partis dans ma tête par sa simple présence.
Le lendemain, il était surpris mais il n’a pas dit grand-chose. Les jours suivants sont allés un peu mieux, et je restais dans le salon cette fois. (j’allais pas non plus le harceler !)
Chercher des liens ailleurs
De façon générale, on me connaît comme une fille super optimiste, j’adore remonter le moral des gens et leur dire ce qui est possible, de suivre leurs rêves, tout ça. Alors je pensais que si je me confiais à quelqu’un sur ce qui m’arrivait, les gens n’auraient plus la même image de moi. J’avais peur de me confier, même à mes amis proches. Je ne pensais pas qu’on pourrait comprendre la chose absurde qui m’arrivait : une fille optimiste qui a un épisode de dépression.
Au mieux, on me dirait
– “Mais tu vis une vie de rêve, c’est juste un coup de mou, ça va passer !”, et je ne pourrais pas répondre :
– “Ben j’espère aussi que ça va passer, mais la nuit dernière j’ai failli me sectionner les bras, alors je fais quoi ?”
Toute cette histoire de dépression et d’attachement déraisonnée était un coup très dur pour mon ego parce que je pensais avoir atteint mon “paradis” en achetant mon camping-car six mois plus tôt pour y vivre et voyager. Je partageais plein de posts sur les réseaux sociaux pour montrer à quel point ma nouvelle vie était ultra cool – avec tous les hashtags qui vont avec, #vanlife, #rvlife… Et peut-être certains des lecteurs ici ont même été jaloux. Tiens, en relisant mon article, j’avais même écrit : “la vie solo c’est beau”. HAHA. Sur le court terme, sûrement.
Mais j’avais négligé un point important : les liens sociaux, physiques, présents, divers, positifs. Je m’étais trompée sur ce qu’est vraiment le bonheur.
Comprenant cela, j’ai compris que je devais changer d’environnement.
Je ne sais plus qui, mais quelqu’un a dit un jour dans un joli post Instagram : si vous ressentez l’envie de quitter cette vie, cela ne veut pas dire que vous voulez FINIR votre existence. Ca veut juste dire qu’il y a des éléments dans votre vie actuelle dont vous ne voulez plus. Alors : quittez votre vie actuelle, et commencez-en une nouvelle.
J’ai compris que je devais aller dans un endroit où ça serait plus simple pour moi de créer des nouvelles relations positives. Je devais finir ma vie actuelle, et en commencer une autre. Cela faisait déjà un certain temps que je pensais à aller à Hawaii – notamment grâce au confinement, les billets d’avion étaient peu chers. J’avais initialement prévu d’attendre que mes amis viennent avec moi, mais là avec cet épisode, j’ai eu un moment de révélation du genre « Oh et puis zut, y’en a marre d’attendre les autres pour être heureuse ». Résultat, en trois jours j’ai acheté mon billet, déménagé mes affaires du camping-car, et hop le soir du Nouvel An j’étais à Honolulu. Je ne connaissais personne, mais j’imaginais que ça serait plus facile de rencontrer des gens de mon âge sur une plage que dans un parc enneigé en confinement ! J’ai vraiment senti que c’était la bonne décision. Tant pis pour le camping-car, tant pis pour l’homme que je voulais.
L’ambulance des anges
Pendant toute la préparation de ce déménagement – à peine deux jours ! – je me suis sentie comme transportée par les anges. Tout s’est passé incroyablement parfaitement en très peu de temps : trouver un endroit où garer le camping-car pour les mois à venir ; trouver une entreprise qui fasse son hivernage ; acheter la dernière housse au magasin pour le protéger du temps ; réserver le test de covid ; faire les valises ; vider le frigo ; acheter le billet.
Dans l’avion traversant le Pacifique, je me sentais… comme dans une ambulance. J’aurais pu être morte et transportée au paradis pour trouver le repos, je pense que je me serais sentie pareil. Même lorsqu’à l’arrivée, j’ai découvert que mon AirBnB avait été annulé et que je n’avais nulle part où aller et dormir, je me sentais en paix.
Je me suis dit que j’allais juste dormir sur la plage et puis voilà.
Heureusement, je n’ai pas fait cette erreur de m’isoler à nouveau. Les anges m’ont guidée à la sortie de l’aéroport vers une autre jeune fille qui rejoignait une auberge de jeunesse, avec qui nous avons partagé l’Uber. En parlant aux managers à l’arrivée, il restait bien UNE place de libre dans l’auberge. Quel miracle, au dernier moment le soir du Nouvel An !
Une renaissance
Et voilà, j’étais littéralement arrivée au « paradis sur terre » : les îles de Hawaii. Contente de n’avoir pas eu besoin de mourir pour y arriver ! Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, sinon le cliché de la carte postale : des plages, du sable, des volcans, des eaux turquoise, un climat chaud. Je me suis posé la question : est-ce que les paysages seuls seraient suffisants pour définir cet endroit comme « paradis » ?
Au fur et à mesure des semaines suivantes, j’ai pu enfin créer des nouveaux liens sociaux qui m’avaient cruellement manqué cette dernière année. En auberge de jeunesse, vous êtes en dortoir, ce qui vous permet de tisser des liens très rapidement avec les autres personnes dans votre chambre. Ça, combiné au temps passé dehors en randonnée sur des pics vertigineux, au lever de soleil, au coucher de soleil, sous les étoiles, sous les arcs-en-ciel, dans la forêt vierge, sur les plages désertes, était un combo parfait pour ma remise en forme mentale.
Comme un paradis.
Vraiment.
Plusieurs fois, je faisais la blague à mes nouveaux amis : « Vous êtes sûrs qu’on n’est pas déjà morts ?… Cet endroit est trop beau pour être vrai. Si je dois répéter cette journée pour l’éternité… je serai vraiment heureuse. »
Plein de gens me demandaient « Mais alors, tu rentres quand sur le continent ? Et ton camping-car ? »
Ma réponse était simple : « Pour aller où ? Pour rencontrer qui ? »
Il faut aussi ajouter que sur Hawaii, il y a cette sorte de « island vibe » qui fait que les gens sont plutôt relax en général, et je pense que le soleil donne une bonne dose de vitamine D à tout le monde !
Conclusion
J’ai compris une leçon importante : mon paradis, mon bien-être, est défini par la qualité de la relation avec les gens avec qui je passe mon temps. L’endroit joue un rôle, bien sûr, mais même le plus beau voyage en camping-car ne vaut rien sans avoir quelqu’un de positif avec qui le partager.
Par la suite, j’ai revu la doctoresse (à distance), qui m’a refait le test de dépression et m’a dit que je pouvais reprendre le travail. Je suis restée à Hawaii pendant six mois pour, entre autres, continuer à me reconstruire.
A l’époque, quand j’avais écrit la première version de cet article (je ne me sentais pas encore prête à le partager, question de vulnérabilité), j’avais écrit : “Le must, bien évidemment, c’est quand je pourrai revoir ma famille. Mais en attendant, j’apprends à me recréer une vie sociale positive, et un bon équilibre de vie.”
Je pense avoir réussi, honnêtement. Ca se travaille chaque jour, mais il y a une grosse différence avec l’année dernière déjà. Je suis reconnaissante pour tous les amis que je me suis fait à Hawaii et avec qui je reste en contact même aujourd’hui. Je suis reconnaissante pour mes colocataires exceptionnels avec qui je me sentais en famille chaque jour (malgré le début où j’étais souvent sceptique par rapport à leur gentillesse). Pour toutes les nouvelles personnes avec qui j’ai passé des moments de qualité, les militaires, les musiciens, les randonneurs, les artistes, les yogi, les joueurs d’échec, les voyageurs de passage, les étudiants, les autres digital nomads, même si on n’a pas forcément gardé le contact.
J’ai également trouvé un autre travail par la suite avec un meilleur manager, et j’ai pu revoir ma famille quand les frontières avec la France se sont réouvertes.
Dire que j’ai failli passer à côté de tout ça.
Je suis reconnaissante de ne pas avoir abandonné, et d’avoir pris soin de moi le plus tôt possible. La vie est faite de tellement de belles choses, et de belles personnes, qu‘il est vraiment trop stupide de s’arrêter devant un gros caillou sur le chemin et de se frapper la tête dessus en espérant qu’il va bouger.
Il vaut mieux prendre un autre chemin, plus ensoleillé, et surtout : sans gros caillou.
—–
Si besoin :
Hotline suicide Europe : 15 et 112
Hotline suicide USA : 1-800-273-8255
Allez voir votre docteur, allez chez un ami, dans une auberge de jeunesse, n’importe où (si y’a du soleil c’est mieux) ; essayez de changer au moins UNE variable de votre vie actuelle.
On mérite tous de vivre et d’être heureux.